Le ney

La flûte de roseau tient une place particulière à travers le monde musulman, et notamment chez les Mevlevi, l’ordre soufi fondé au 13ème siècle par Rumi. Cette place s’envisage immédiatement avec l’ouverture de son Mathnawî, sur ces vers :

Beshno in ney chūn shekāyat mikonad
Az jodāyihā hekāyat mikonad

Ecoute ce ney raconter son histoire
C’est de la séparation qu’il se lamente

Ainsi, le roseau coupé de sa roselière comme l’homme l’est de son créateur insufflerait chez l’auditeur de sa mélopée le souvenir du divin. A Konya, sur les murs du mausolée de Rumi, se lisent d’autres de vers à son égard, comme ce conseil ascétique aux soufis :

Ey mardé samā’ ma’dé rā khāli dār
Zirā chū tohist ney konad nālah zār

Ô toi qui cherche l’amour divin, garde l’estomac vide
C’est parcequ’il est creux que le ney peut chanter sa plainte

Dans la tradition soufie, le rôle du ney comme révélateur de secrets s’explique notamment par un mythe islamique : Au retour de son ascension aux cieux (le Miraj), le Prophète aurait fait le récit des beautés divines à son gendre Ali, lui faisant promettre de se taire. Mais Ali ne peut contenir ce secret, et va trouver un puit déserté dans lequel il puisse parler. Le Verbe a pour effet de faire pousser le roseau, qu’un berger de passage ponctionne pour se fabriquer une flûte. Peu après, ses propres paroles viennent aux oreilles du Prophète ; lorsqu’il questionne Ali à ce sujet, ce dernier se défend d’avoir répété le mystère à quelconque créature. Le Prophète décrète alors que cette tige de roseau, le ney, révèlera ce secret divin jusqu’à la fin des temps.

Le grand poète mystique mevlevi Sheikh Galip (1758 – 1798), l’un des plus importants de la période ottomane, l’évoque ainsi (en turc ottoman, langue officielle jusqu’aux réformes linguistiques kémalistes de 1923 qui le purgent de ses influences persanes et arabes) :

Envâr-i Mâh-i Nahşebîdir şu’le-i sadâ
Ayn-ı Alîden aldı nazar çünki çâh-ı ney 

Les flammes de lumière divine furent révélées par le son
Lorsque le puit de roseau reçu le regard d’Ali

Or, l’ont montré des écrivains turcs modernes, cette histoire renverrait directement à la légende du Roi Midas conté par Ovide dans ses Métamorphoses (1er siècle), donc aux anciens mythes du bassin méditerranéen. Préférant la flûte dionysiaque de Pan à la harpe céleste d’Apollon, celui-ci dote le roi d’oreilles d’âne. Il se cache de honte, mais son barbier finit par s’en apercevoir, et ne pouvant non plus se contenir, va le crier dans un puit désert.  Quand un berger se façonne une flûte d’un roseau de ce puit, le secret a vite fait de se propager. Ainsi de la tradition !

Mathieu Clavel

Mathieu Clavel

parcourt les routes à l’écoute des cultures, des instruments, des expressions et des ornements musicaux qui représentent la richesse du monde.

A l’écoute du ney en Anatolie
Du 8 au 20 juin 2024 : Voyage musical en Turquie: Konya et Cappadoce avec Patrick Ringgenberg et Mathieu Clavel
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Le ney turc

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